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Sciences 

Les origines du langage entre génétique et relations sociales
LE MONDE | 18.10.01 | 12h30 Imprimer   |    Envoyer par mail

La découverte récente d'un lien entre un gène et le langage pourrait faire rapidement progresser nos connaissances sur cette capacité qui nous distingue de l'animal. Mais, pour certains, cette "grammaire universelle" de l'homme ne devrait rien aux gènes.

Les troubles du langage sont héréditaires chez les KE. Sur plusieurs générations, les membres de cette famille parlent "comme si chaque son qui leur sort de la bouche leur faisait rendre l'âme", raconte un chercheur. Ils luttent désespérément pour maîtriser les mouvements de leurs lèvres et de leur langue, pour former les mots, se servir de la grammaire et la comprendre. "Pour l'interlocuteur non averti qui les écoute, leur discours est quasi inintelligible", observe Anthony Monaco, généticien à l'université d'Oxford, en Angleterre. Or on a aujourd'hui découvert un gène qui, lorsqu'il se détériore, produit ce déficit de la parole. Ce gène –le premier à être identifié comme étant, sans le moindre doute, lié au langage– active ou désactive d'autres gènes, et pourrait ainsi nous orienter vers un circuit génétique de l'acquisition et de l'utilisation du langage (Le Monde du 6 octobre).

Découvrir un gène, c'est un peu comme trouver une pièce d'automobile. On se doute bien qu'elle est utile, qu'elle fait partie d'un ensemble plus important, mais on ignore à quoi elle sert, avec quels autres éléments elle fonctionne, et quel aspect a le véhicule lorsqu'il est complet. "C'est un système incroyablement complexe, dont nous n'avons qu'une idée extrêmement partielle", reconnaît Michael Tomasello, psychologue à l'Institut Max-Planck d'anthropologie de l'évolution (Leipzig, Allemagne). Mais bientôt d'autres pièces devraient compléter le puzzle. Les généticiens sont en effet sur la piste des gènes qui contrôlent le développement du cerveau et sont responsables d'un certain nombre de troubles mentaux.

Les immenses travaux menés sur le séquençage du génome humain leur ont débroussaillé le terrain et "épargné des mois de travail", commente Robert Plomin, généticien du comportement à l'Institut de psychiatrie de Londres. Mais, malgré cela, le débat entre les chercheurs est toujours aussi vif, et l'étude du langage les divise presque aussi radicalement que les langues nous divisent. Les scientifiques divergent ainsi sur la question de savoir si l'aptitude au langage est un caractère biologique inné ou un produit de nos interactions sociales.

CONTROVERSE

Mais une autre question, tout aussi importante, s'ajoute à cette réflexion: les centres du langage se limitent-ils à cette seule fonction dans le cerveau, ou prennent-ils part à l'ensemble des mécanismes mentaux? La controverse sur ce point remonte aux théories émises par Noam Chomsky en 1959. Le fait que l'enfant acquière le langage sans qu'on le lui enseigne et que l'adulte construise un nombre infini de phrases à partir d'un nombre fini de mots a convaincu Chomsky que l'homme possède en lui une "grammaire universelle", un ensemble de règles relatives à la structure du langage.

Quarante ans plus tard, ces idées continuent d'alimenter le débat. "Mais il faut choisir son camp. Il n'y a guère de position intermédiaire", insiste Bruce Tomblin, qui étudie la génétique des troubles du langage à l'université de l'Iowa. Pour Michael Tomasello, c'est l'aptitude à utiliser les symboles abstraits qui distingue l'homme de l'animal. Aptitude qui, d'une certaine manière, est la plus à même d'être génétiquement codée. La grammaire, avance-t-il, "est une manifestation de l'histoire. C'est un produit sociologique, et non pas génétique".

Il n'est pas nécessaire de croire qu'il existe des gènes spécifiques du langage pour penser, comme Chomsky, que le cerveau possède des structures spécialisées, propres au langage humain. "Je ne crois pas qu'il y ait des gènes uniquement liés au langage, déclare Martin Nowak, qui étudie l'évolution du langage à l'Institute for Advanced Study de Princeton. Je pense que certains gènes élaborent dans le cerveau des structures qui informent l'enfant de ce sur quoi compter. Il n'est pas possible d'acquérir le langage s'il n'y a pas dans le cerveau une structure qui le permet."

Le réseau des gènes du langage peut se comparer à un arbre. Des gènes comme le gène FOXP2, impliqué, semble-t-il, dans le langage, en formeraient le tronc. Dans ces conditions, scier ce tronc détruirait de multiples éléments du langage. D'autres gènes pourraient en régler avec précision certaines composantes situées, comme la grammaire, plus haut dans l'arbre; les éliminer équivaudrait à couper une branche.

La psychologue Heather Van der Lely, de l'University College de Londres, souscrit à cette école depensée. Elle travaille sur des enfants qui ont une bonne élocution et une bonne compréhension des mots pris individuellement, mais qui, comme l'adulte normal dans l'apprentissage d'une langue étrangère, ne maîtrisent pas la grammaire. Ces enfants mélangent les temps. Ils diront, par exemple, "hier, je saute l'obstacle", et ils ont du mal à formuler des questions. "Il faut tout leur apprendre de l'usage de la langue, indique Van der Lely. Ils n'en ont pas la connaissance intuitive et doivent à tout moment s'arrêter pour réfléchir."
C'est ce type de "pur" déficit du langage que Karin Stromswold, de l'université Rutgers, dans le New Jersey, recherche dans les gènes, et qui l'a amenée à penser qu'il existe dans le cerveau des circuits spécifiques de la grammaire et des gènes qui contrôlent leur développement. On ne s'étonnera pas que des désaccords apparaissent sur ce point. "Il m'est difficile de croire que nous avons des gènes qui ont pour rôle d'influencer le cerveau de façon très spécifique à propos du langage et de lui seul", déclare Bruce Tomblin.

INTERACTION COMPLEXE

La parole, poursuit le chercheur, est le produit de "mécanismes cognitifs à visée générale, dont certains sont peut-être plus importants que d'autres pour le langage. C'est une interprétation qui est certainement moins méthodique, mais qui, lorsque j'observe les données, me paraît plus défendable". Même les troubles qui semblent ne relever que du langage peuvent, selon Robert Plomin, être le fait d'une interaction complexe de plusieurs facteurs. Et d'avancer alors qu'il peut y avoir bien des causes – aberrations génétiques, lésions dues à l'environnement – à un même déficit final du langage.

Les différences de capacité et de comportement linguistiques sont considérables d'une personne à l'autre – ainsi de l'âge auquel on commence à parler, ou de la rapidité avec laquelle s'acquiert le langage. Le développement du langage est sans doute contrôlé par "un très grand nombre de gènes, qui jouent chacun un petit rôle en travaillant en des points multiples du cerveau", estime Robert Plomin.

Pour lui, le langage n'est pas une chose qu'on possède ou pas: l'ensemble de ces gènes situe simplement chacun d'entre nous le long d'une échelle de l'aptitude verbale. Sur les 16 000 couples de jumeaux britanniques qu'il étudie, il a découvert une forte composante héréditaire dans les troubles du langage, mais les gènes individuels sont cependant difficiles à identifier. "Je reste optimiste, dit-il, mais les progrès ont été beaucoup plus lents que prévu."

Pour faire avancer les recherches, l'étude des gènes et du cerveau de linguistes particulièrement doués ou de personnes parlant parfaitement plusieurs langues pourraient, par exemple,  fournir des indications sur la part génétique dans l'acquisition du langage. Cette approche a été négligée, estime Karin Stromswold, mais un "nombre surprenant" de linguistes professionnels sont issus de familles de linguistes.

Et d'ajouter: "Les linguistes qui épousent des linguistes devraient se précipiter vers le centre génétique de leur localité." Il serait particulièrement intéressant que leur cerveau ne fonctionne pas aussi bien dans d'autres domaines. D'ailleurs, précise Karin Stromswold, "je cherche des linguistes qui ne savent pas tenir à jour un chéquier".

John Whitfield

 

 


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